Lisa avait un peu plus d’une trentaine d’années lorsque les deux photographes firent sa connaissance. À leur première rencontre, elle ne sembla pas savoir exactement ce qu’elle voulait. Ils l’écoutèrent mais elle parla peu. Elle n’avait sans doute pas les mots pour immédiatement partager avec des inconnus ce qu’elle ressentait depuis longtemps sans jamais avoir osé l’aborder avec quiconque. Il est courant qu’un modèle exprime dans ses motivations une certaine crainte face à l’âge qui avance et l’envie d’éterniser sa jeunesse. Mais les motivations de Lisa semblaient plus profondes et s’inscrivaient dans les changements rapides qu’avait connus la Chine ces dernières années. Il apparut qu’elle s’était sentie attirée par la photographie en réaction au matérialisme ambiant afin de se débarrasser de la tentation de sophistication et d’artifice. Elle souhaitait s’affirmer dans une simplicité première et authentique. La photographie constituait à ses yeux le moyen d’inventer un instant et une attention et d’en garder la trace et la mémoire précises. Au fur et à mesure des séances, il devint de plus en plus clair qu’être devant l’objectif était pour elle une voie pour aller à la rencontre de son désir de nouer une relation personnelle à la beauté et à l’art. C’était également le moyen de compléter sa propre image, de se réinventer, de renouveler son regard et ses attentes à travers l’exploration de l’intimité, de la proximité et du regard de l’autre. L’expérience d’être nue face à l’objectif et d’accepter que des regards se portent sur elle a transformé à son tour le regard qu’elle porte sur le monde.
Cette série est la première exposition issue de cette coopération. Elle témoigne des toutes premières rencontres. Elle s’intitule fort naturellement « Lisa LISA » car il s’agit pour Lisa d’une seconde naissance, c’est donc elle qui a choisi d’ajouter à son prénom ce nouveau patronyme. En jouant avec des tissus noirs dissimulant partiellement sa nudité, elle a peu à peu pris conscience de la puissance évocatrice des différentes parties de son corps. Ces photos invitent celui ou celle qui les regarde à user de la puissance créatrice de son imagination comme elle le fit elle-même pour aller au-delà de ce qui est montré et poursuivre dans une dimension fictionnelle car ce que nous montrent ces photos finalement relève davantage de la fiction que d’une réalité tangible.