Lisa LISA ou la possibilité d’un devenir

À propos de la série « Lisa LISA » de Michel-Alain LOUŸS et WANG Han

Regardant ces images, mes réflexions m’emportent. Les dix photos de cette série forment une histoire. C’est ce qu’on m’invite à croire. Alors, je me prête au jeu. Les regarder, c’est nécessairement me livrer à une interprétation et trouver le moyen de déplier à mon tour ce qui fait sens.

Le tissu noir est le fil conducteur qui les relie entre elles. Il constitue le rituel qui permet à la mise en scène de fonctionner. C’est le rideau du théâtre qui s’entrouvre sur la personne qui se dévoile. Je comprends que ce n’est pas la beauté d’un corps qui est montrée mais l’éclat de l’invention de moments où tout se joue. Je ressens la pression de l’indicible qui vient au jour. Un dialogue polyphonique s’engage : la peau des images répond à la profondeur du noir des tissus et moi je dois répondre au défi que me lancent ces photos qui me font face. Qu’est-ce qui se découvre de la sorte ?

En se dénudant, cette personne s’expose. Et les tissus qui touchent sa peau tracent les contours d’instants fugitifs. Ces marges noires représentent l’impossibilité même de représenter un sens toujours fuyant qui sans cesse se dérobe lors de cette mise à nu. J’aimerais y trouver un secret caché. Mais non, aucun secret ne surgit à fleur de la peau qui se découvre. Chaque image rejoue seulement le lieu de sa nudité. Ce qui est donné, ce n’est pas un divertissement mais la venue d’une présence qui fait événement et se donne en dehors de toute figure. Ce corps ne pose pas. Il explore sa capacité plastique à devenir matière. Il s’inscrit dans un mouvement qui l’écrit. Il devient un dire plutôt qu’un dit. Il n’y a pas d’essence au-delà du nu qui se dévoile.

Ce que révèle la tension des mains qui cherchent prise ou ajustent leur position, c’est un corps ici et maintenant qui se construisant en un dehors visible devient pensée de lui-même. Pensée de l’écart et de l’étrangeté. Et ce qui dans l’élan de cette adresse émerge, s’anime et vient vers moi, c’est la naissance à cette présence au cœur de la tectonique du sens.

Voilà des photos que je peux regarder autant de fois que désiré sans que jamais aucune ne s’épuise. Très vite, au-delà de la question de l’apparition et du dévoilement du personnage, ce qui m’intrigue le plus, c’est la naissance de ces images. Car bien sûr, impossible d’imaginer cette série sans penser à la singularité de son commencement. J’ignore tout des échanges entre le photographe et la personne photographiée. Qui a pris l’initiative de ces tissus noirs, je dois accepter de n’en rien savoir. De la même façon, je ne sais pas si c’est la femme qui d’elle-même explore le jeu avec le noir ou si elle réagit ainsi à la demande du photographe. Je pressens seulement les multiples lectures possibles de ces images dont les fils constituent l’histoire d’une expérience sensible esthétique qui émerge et se noue grâce à la photographie. Le dispositif adopté configure l’espace où le sens toujours à naître prend corps et s’écrit. Chaque cliché est un recommencement qui met en scène l’expérience d’une dissolution incessante du temps.

Ces photos attirent car elles donnent à voir la recherche d’une convergence entre un être, une âme et un corps et témoignent à ce titre de la possibilité d’un devenir au sein d’une finalité qui demeure indéterminée et sans fin.

Matthias Nicolas 07/04/2017

Présentation de la série

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